Samedi le 30 juin (2018), vers 14 h, notre chère mamie Marie s’est éteinte…
Marie était la première patiente du centre des soins palliatifs des Sœurs des Anges de Kabuga. Elle y vécut pendant cinq ans. La Bonne Fabrique n’avait qu’un an quand le centre avait été inauguré. En effet, Kabuga était le premier projet que nous avions mis en place et mamie Marie avait été notre première pensionnaire.
Je n’oublierai jamais son rire quand je la prenais sur mes bras (elle était légère comme une plume), tel une jeune enfant, pour lui faire visiter le centre ni sa voix, profonde et nette, avec laquelle, vingt fois par jour, elle déclarait son amour pour la directrice de l’établissement, la sœur Marie, elle taquinait sa soigneuse préférée ou elle négociait des provisions du tabac à priser avec notre intendante, la sœur Ernestine. Cette même voix avec laquelle elle ne cessait pas de reprocher à l’esprit Barakekemwa d’avoir tué tous ses onze enfants pendant la guerre civile rwandaise. Je n’oublierai jamais non plus sa danse frénétique – mamie Marie ne dansait pas, elle incarnait la danse ! – à laquelle elle s’adonnait à chaque fois qu’elle entendait un bout de musique. Aujourd’hui, pendant la messe du dimanche, elle a également dansé pendant quelques minutes avant de se rasseoir sur son banc. Trois heures plus tard, elle a fermé les yeux pour rejoindre ses enfants chéris…
Par la vérité de Dieu, nous ignorions à peu près tout à propos d’elle. Elle même ne savait pas ni quel était son âge, ni comment elle s’appelait. Elle avait pris le nom de Marie lors de son baptême en rendant ainsi hommage à la directrice de l’établissement. Les sœurs l’avaient retrouvé dans la rue où elle subsistait en mangeant des ordures. Chez nous, nous avons pris soin de « Kaka », comme nous l’appelions affectueusement, comme si elle était une REINE. Pour nous manifester sa reconnaissance, elle nous jetait des sourires, racontait des blagues parfois assez indécentes et se feignait de longues histoires que nous avions parfois du mal à comprendre, vu que personne ne savait quelle langue exactement parlait-elle.
Ces derniers mois, l’état de « Kaka » continuait à s’aggraver. Nous la soignons de notre mieux mais personne n’a encore inventé un remède contre la mort…
Quand un être humain tellement épris de vie s’éteint, tout ce qu’on peut dire c’est un gros MERCI. Merci, Mamie, de nous avoir honoré avec ta présence. Merci pour chaque danse, chaque sourire et chaque marque de reconnaissance pour de petits cadeaux que nous te faisions de temps en temps : des foulards, des mouchoirs ou encore des sucettes, si volontiers « sponsorisés » par nos généreux sympathisants…
Nous pouvons juste espérer que tu est partie heureuse en sachant que tu étais aimée, respectée et admirée. Maintenant, lorsque tu as pu rejoindre tes proches chéris, redevenir une femme consciente de ses qualités et en pleine possession de ses moyens, lorsque tu peux de nouveau regarder l’avenir avec l’espoir des lendemains meilleurs, ne nous oublie pourtant pas ! N’oublie pas de nous rendre visites, désormais sans la fâcheuse compagnie du mauvais Barakekemwa, de te promener dans tous les coins du centre ou encore d’aider nos soigneuses à nourrir les patients, comme tu aimais tant le faire. J’espère que ton rire retentira encore de nombreuses fois sur la cour de l’établuissement… N’oublie pas de nous donner tes précieux coups de main de là où tu est maintenant pour que nous soyons toujours en mesure de prouver à nos patients que dans le monde il n’y a pas de gens insignifiants et que chacun des 7 milliards d’êtres humains – qu’ils vivent dans un palais ou dans la rue – a le droit d’être aimé, respecté et soigné jusqu’à son dernier soupir.
Sans toi, Kabuga ne sera jamais plus le même endroit. Nous n’en avons pas encore parlé avec les sœurs, mais je suis persuadé que nous allons trouver une solution pour honorer ta mémoire. Peut-être que nous allons accrocher ton portrait dans l’un des couloirs ? Peut-être qu’ensemble avec ceux qui t’ont connu le mieux, à savoir les soigneuses, Mateusz, Ernestine et autres patients, nous allons élaborer un livre de mémoires en ton honneur pour rappeler à tous ceux qui arrivent à Kabuga que, grâce à la Providence, une certaine mamie Marie qui, au départ condamnée à mourir seule, oubliée de tous et dans la misère la plus atroce, vers la fin de ses jours était devenue une véritable star. Appréciée et respectée par des milliers d’individus dans le monde entier qui attendaient impatiemment de nouveaux posts consacrés à mamie, qui priaient pour elle, riaient avec elle et qui lui achetaient ses fameuses sucettes…
Chère Mamie, aujourd’hui toute l’équipe de la Bonne Fabrique te souhaite un bon chemin. Nous sommes à la fois honorés et heureux d’avoir fait ta connaissance et tristes de devoir te dire « Adieu ». Heureusement, nous avons plein de photos et de souvenirs que nous allons partager avec nos lecteurs dans le cadre de ce blog. –
Moi aussi, bien que tout en larmes, je veux te dire, mamie, pour la dernière fois, Murakoze – « Merci pour tout ! ».
Ton petit-fils blanc (ainsi que, suivant ton humeur, ton mari, ton fils, ton fiancé, ton médecin ou ton forgeron personnel…)